COSMOGONIE INTIME Mme Rosemary Lloyd

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Mme Rosemary Lloyd
Rudy Professeur au Départment de Français et d’Italien
Indiana University, Bloomington Indiana USA

Cette œuvre nous offre un univers qui surgit de la mémoire emplissant l’air de paroles, de sorte que les images se déplient à partir de souvenirs au rythme de vagues battant régulièrement une plage de l’esprit et créent un vaste panorama suivi par un bref soubresaut des sens, le rythme des ailes dans les ciels d’été. De même que les dessins de Ray Rice, la poésie d’Yves Peyré tire sa force d’une capacité à faire ressentir une maîtrise puissante qui domine des bouffées de créativité poussées par le souvenir. Cette impression de contraste tant dans le visuel que dans le verbal lie ensemble poésie et illustration pour former un tout aussi irréprochable que le livre lui-même, livre extraordinaire, dans lequel les plis d’accordéon du papier associés à sa riche texture offrent un symbole d’unité immédiatement perceptible. Méditation sur le temps et l’être, la poésie de Peyré transforme de simples souvenirs de vacances au bord de la mer en symboles d’une grande beauté et d’un immense pouvoir : la spirale de l’ammonite, par exemple, trace en miniature l’étendue temporelle de l’antiquité géologique jusqu’à l’avenir du poète. De même, la silhouette d’une ville peut se retrouver toute entière dans la courbe d’un fruit et le son de la mer dans une coquille en colimaçon, qui chante la perte et de la souffrance et de la dissolution du moi suivie de la reconstitution du moi grâce à des actes conscients de la mémoire. La perte du moi, suite à l’abandon des sens au chaos mène à la perte du moi et au vertige, ainsi qu’à l’échec du langage à trouver les mots exacts qui sont nécessaires. Cet échec est évoqué ici de façon désobligeante, comme « des murmures » auxquels l’artiste riposte par l’équilibre admirable de formes géométriques et de formes libres, d’immobilité et de suggestion constante de mobilité ; le poète, quant à lui, riposte par sa détermination de «  happer la fragilité / et ériger / la consistance au cœur du vertige. » Si la mémoire s’avère être un trope dominant du livre—le poète se souvenant de Venise, le lecteur réagissant aux formes créées par des images répétées, l’artiste évoquant la mémoire en créant des dessins dont chacun reflète et recompose les autres—elle est pourtant toujours servante de la créativité, de ce qui nous permet d’apprécier à sa juste valeur le présent en soupesant « la buée / et le caillou » et de forger notre propre avenir, « en écartant les plis de la lumière » pour reprendre « la route de demain ».

Seul un petit nombre de poètes français contemporains voient leurs œuvres mises à la disposition des lecteurs américains, que ce soit en version originale ou en traduction. Nous sommes donc bien redevables à Felicia Rice non seulement d’avoir attiré notre attention sur un poète aussi sensible et aussi visuel qu’Yves Peyré, mais aussi d’avoir créé un livre d’artiste si touchant autour d’une publication parallèle de cinq de ses poèmes. Proche ami et critique perspicace de bien des poètes, spécialiste en outre du poète Stéphane Mallarmé, Peyré est un écrivain dont le vers est influencé non seulement par les traditions des deux derniers siècles, mais aussi par l’expérimentation avant-gardiste de la poésie plus récente, surtout peut-être celle d’Henri Michaux et d’André du Bouchet. Dans COSMOGONIE INTIME, si ses vers rappellent ceux du passé, ils restent cependant très personnels, marqués par une alternance de vers longs et courts. De plus, l’apparente simplicité des mots de ces poèmes et la beauté visuelle de leurs images sont telles qu’elles participent au retour plus général de la poésie française contemporaine vers le lyrisme.

Yves Peyré travaille depuis bien longtemps avec des artistes pour créer des livres dans lesquels la poésie et la peinture trouvent une association parfaitement équilibrée. Il est aussi l’auteur d’une exploration considérable et stimulante des livres d’artistes français des années 1870 jusqu’à la fin du vingtième siècle, Peinture et poésie. Aujourd’hui, avec Elizabeth Jackson, depuis longtemps sa traductrice, avec l’artiste Ray Rice et sa fille Felicia Rice, éditrice de beaux livres, il a créé un nouvel et superbe exemple de ce qui peut advenir lorsqu’un poète et un peintre, avec la collaboration d’un relieur et d’une éditrice, partagent une vision dont l’inspiration est issue à la fois du sensuel et du cérébral, du visuel et du verbal. Le résultat final est une recréation d’un cosmos à la fois intime et universel, tout aussi apte à faire ressentir les plaisirs quotidiens de la nature morte qu’à dessiner la chronique d’un avenir inconnu.

Rosemary Lloyd
Rudy Professor of French and Italian
Indiana University, Bloomington

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